- PYGMÉES
- PYGMÉESOn ne connaît pas le nombre de Pygmées qui vivent dans la forêt équatoriale africaine, de l’océan Atlantique aux Grands Lacs; les estimations oscillent entre 150 000 et 200 000 (150 000 au Zaïre, les avait-on évalués en 1971). À l’ouest, on les appelle Binga : ils sont dispersés au Cameroun, au Gabon et au Congo, approximativement entre les fleuves Sanaga au nord, Oubangui à l’est, Niari au sud-ouest. Au Zaïre et au Rwanda, ils sont nommés Twa ou Cwa , et au nord-est, dans la forêt de l’Ituri, Mbuti ; estimé à 40 000, ce groupe est le mieux étudié. L’anthropologue M. J. Gusinde donne le nom de Twide , dérivé de Twa, aux Pygmées africains, pour lesquels E. T. Harny a forgé le nom de Négrille , diminutif de Nègre. Certains auteurs classent parmi les Pygmées les Negritos, populations asiatiques de petite taille: Aeta des Philippines, Semang de Malaisie, Andaman des îles du même nom. La thèse d’une origine commune de tous les Pygmées, africains et asiatiques, est combattue par l’anthropobiologie actuelle, qui explique les similitudes de ces groupes par l’adaptation génétique à un même milieu, la forêt équatoriale.Les plus petits hommes du mondeOn ne traitera ici que des Pygmées d’Afrique, les plus petits hommes du monde (la stature moyenne masculine des Mbuti est de 1,44 m). Leur nom vient du grec pugmaios , qui signifie «haut d’une coudée»: l’Antiquité les connaissait déjà, depuis leur découverte par une expédition vers les sources du Nil envoyée par un pharaon de la VIe dynastie; celui-ci en fit venir un à sa cour, avec force recommandations pour sa sécurité et son confort; «Salut au danseur de Dieu, à celui qui réjouit le cœur, à celui vers lequel soupire le roi» écrit le pharaon. D’Égypte, la connaissance des Pygmées s’est répandue chez les Anciens: ils sont nommés par Homère et par Aristote, et représentés sur des mosaïques de Pompéi. Ensuite, les Occidentaux en firent des monstres infra-humains, jusqu’à ce que des explorateurs de la fin du XIXe siècle les rencontrent. Des ethnologues ont vécu parmi eux et, s’ils ne partagent pas tous l’enthousiasme du pharaon à leur sujet, ils se plaisent à reconnaître leurs qualités humaines, l’originalité de leur vue du monde, et leur adaptation parfaite à la vie en forêt où ils se déplacent avec une grande rapidité.Les Pygmées ont la peau brune, plus claire que celle de leurs voisins. Ils ont les jambes courtes, les bras longs, la chevelure crépue «en grains de poivre», le nez large et court, les lèvres minces.Une économie de subsistanceLes Pygmées tirent leur subsistance de la chasse et de la cueillette. Aussi vivent-ils dans des camps provisoires établis dans la forêt aux endroits riches en gibier, où les femmes montent de petites huttes, arrondies, collectives, couvertes de feuilles imperméables. Les Mbuti du sud de l’Ituri ne savent pas allumer le feu et emportent des tisons ardents lorsqu’ils lèvent le camp. Chasse et cueillette sont quotidiennes, la viande n’étant fumée que si elle est destinée à être troquée contre des produits agricoles.Les Mbuti chassent à l’arc, ou au filet. Dans ce dernier cas, les hommes disposent verticalement de longs filets vers lesquels les femmes et les enfants rabattent le gibier, au signal donné, en faisant le plus de bruit possible. Le gibier pris est tué au couteau (jadis à la massue). L’arc des Pygmées est partout le même, du Gabon à l’Ituri. Très petit (environ 65 cm à la corde), il est adapté à la taille de ses usagers et au tir à faible distance imposé par la visibilité, qui est courte en forêt. Fait d’un bois solide, il est courbé à la chaleur; la corde est en rotin; les flèches, empoisonnées, ont un empennage de feuille dure; elles étaient de bois avant les contacts avec les forgerons noirs. L’éléphant est chassé à la lance, par groupes de sept chasseurs au maximum, ou parfois par un solitaire que cet exploit rendra fameux. Le camp est levé lorsque le gibier aux alentours s’est fait rare; le nomadisme ne dépasse pas les limites du territoire de chasse hérité des ancêtres.Pour tout vêtement, les Mbuti portent une bande d’écorce battue fixée à la ceinture et passée entre les jambes; les femmes en laissent un long morceau flotter par derrière. Il y a lieu de se demander si la technique de l’écorce battue, connue en Uganda, au Rwanda, au Burundi, n’est pas un apport culturel pygmée, bien que certains auteurs expliquent sa présence en ces régions par une éventuelle influence indonésienne.Les Mbuti apprécient les produits agricoles de leurs voisins; toutefois, ils peuvent s’en passer. Le seul lien de dépendance extérieure qui s’est implanté fermement dans leur économie concerne le sel, les objets de fer forgé et les poteries. Au Rwanda et au Burundi, les petits groupes de Twa étaient intégrés beaucoup plus étroitement à l’économie du pays et étaient spécialisés, principalement, dans la fabrication de la poterie.L’association provisoire de familles étenduesLa famille étendue patrilinéaire chasse et nomadise ensemble. Dans les camps se réunissent plusieurs d’entre elles, mais ces associations provisoires se défont librement. La stabilité de la famille étendue permet de faire face aux nécessités de la chasse, et de nourrir les impotents. Plusieurs familles étendues forment un clan qui se reconnaît à son totem, animal intouchable. Les liens de parenté sont reconnus aussi du côté maternel, et l’exogamie bilatérale est de règle, au niveau de la famille étendue et non du clan. Le mariage traditionnel mbuti se fait par échange, «tête pour tête»: lorsqu’un garçon désire épouser une fille, il faut donc qu’il décide sa sœur ou sa cousine à se marier avec le frère ou le cousin de la fiancée, ce qui n’est pas toujours aisé. Le mariage par paiement d’une compensation ne se pratique que sous l’influence des Noirs, lorsque ceux-ci réussissent à imposer leurs coutumes; dans ce cas, la dot est payée par le «propriétaire» noir du garçon pygmée à celui de la fille. La polygamie est rare, le divorce fréquent, l’adultère n’est pas une offense grave, les mœurs sexuelles étant très libres.Aucune organisation politique n’unit tous les Pygmées entre eux.Relations avec les NoirsOn ne connaît pas de langue propre aux Pygmées: ils parlent celle de leurs voisins, avec toutefois un accent reconnaissable. Partout, les Noirs se considèrent comme les supérieurs et les maîtres des Pygmées qui parlent leur langue, et leur imposent des corvées, telles que de lourds travaux agricoles chez les Binga. Dans l’Ituri, la domination des Noirs n’a pas eu pour effet de changer le mode de vie mbuti. Le Bira ou le Lese qui «possède» une famille de Mbuti, attend d’eux du gibier pour la viande et surtout pour l’ivoire, lorsqu’un éléphant est tué, ce qui est évidemment très profitable; il attend aussi que «ses» Pygmées l’accompagnent à la guerre. En retour, il leur donne du sel, des bananes et autres produits cultivés, et les indispensables armes de fer. Ainsi s’est établie une symbiose profitable aux deux parties, mais inégalement: les Noirs, arrivés récemment dans la forêt, s’y sentent en milieu hostile et n’osent pas y pénétrer assez profondément pour chasser; d’autre part, les Mbuti apprécient les récoltes de leurs «maîtres», auxquelles il faut ajouter le chanvre et les boissons fermentées. Il arrive souvent qu’une femme mbuti, séduite par le confort relatif du village, en épouse un habitant, mais jamais une villageoise ne se marie avec un Pygmée.Les Noirs tentent de leur imposer leurs coutumes matrimoniales et funéraires; ils soumettent même les jeunes garçons mbuti à leurs propres cérémonies d’initiation. L’ethnologue C. M. Turnbull a montré que la soumission des Mbuti aux Noirs est superficielle, et freinée par la différence profonde de conception de vie qui sépare les deux populations. Malgré les apparences, les Mbuti sont fermement attachés à leur sagesse séculaire.La philosophie implicite des MbutiLe dénuement matériel des Mbuti, effrayant pour un étranger, n’est pas ressenti par eux comme une privation. Ne trouvent-ils pas au jour le jour, et sans trop de peine, ce dont ils ont besoin? Nourriture, eau claire, abri, tout est à la portée de la main. Aussi chérissent-ils cette relative absence de souci matériel qui explique leur répugnance à s’attacher à la terre par l’agriculture, et leur refus de tout rituel formaliste. La pluie ne manque jamais chez eux. N’étant pas obligés de forcer la nature, ils n’ont recours qu’à un minimum de pratiques magiques.Les Noirs essayent, sans trop de succès, de leur inculquer leurs croyances à la sorcellerie, notamment au sujet de la responsabilité des décès. Quant aux «esprits» qui hantent la forêt, l’histoire suivante, racontée par Turnbull, illustre l’usage que les Mbuti en font: l’un d’eux partit un jour au village de son patron, les mains vides, et en revint chargé de bananes et de riz. Interrogé sur cette aubaine, il répondit sans rire qu’il s’était mis en route avec de la viande séchée pour son patron; en chemin, un «esprit» la lui avait volée, en allant jusqu’à prendre la forme de sa défunte grand-mère. Effrayé et apitoyé par cette histoire macabre, son patron l’avait comblé de présents.Alors que les Noirs considèrent le sang menstruel comme impur et dangereux, et entourent la puberté féminine de précautions magiques, les Mbuti, au contraire, se réjouissent de l’événement, promesse de postérité. À cette occasion une hutte spéciale est construite, où quelques filles pubères sont réunies. L’accès en est défendu par des femmes plus âgées armées de fouets. Le soir, ce lieu est pris d’assaut par les jeunes gens, et ceux qui parviennent à l’intérieur on le droit de faire l’essai d’une épouse éventuelle, en poussant le «flirt» plus ou moins loin. Pendant la journée, les filles se promènent munies d’un fouet dont elles usent volontiers sur le dos du garçon le plus admiré.La seule croyance religieuse profonde et vécue des Mbuti est le culte de la forêt, dont ils se disent les enfants. Lorsque survient le malheur ils se réunissent, loin du village, afin de la «réveiller» car manifestement elle s’était endormie. Ils ne lui adressent aucune prière précise, mais cherchent à lui plaire en chantant leurs plus beaux chants, espérant retrouver ainsi sa protection bienveillante. Cette cérémonie, appelée molimo , est l’affaire des hommes, tandis que l’elima , fête de la puberté féminine, est celle des femmes. Quand la célébration du molimo a été décidée, les hommes vont chercher en secret une trompe du même nom cachée dans la forêt; généralement en bois tendre ou en bambou, elle peut n’être qu’un tuyau de plomb volé sur la grand’route. Lorsque, le soir, les femmes entendent le son du molimo qui s’approche, elles se réfugient dans les huttes. Les hommes passent la nuit à danser et à chanter autour du feu, et le matin le départ de la trompe marque le passage du sacré au quotidien. Le molimo peut se prolonger pendant plus d’un mois; il cessera lorsque la forêt aura prouvé de nouveau sa bienveillance en rétablissant le cours normal des choses.Pygméespopulation africaine vivant principalement dans la forêt équatoriale, caractérisée par leur petite taille (moins de 1,50 m). Ils parlent une grande variété de langues, appartenant à la famille nigéro-congolaise (langues bantoues et oubanguiennes) et à la famille nilo-saharienne (langues du groupe soudanais central). Traditionnellement, les Pygmées sont des chasseurs-cueilleurs nomades.
Encyclopédie Universelle. 2012.